Initiée en 2019 avec Man of Medan, l’anthologie d’horreur narrative The Dark Pictures de Supermassive Games a semble-t-il trouvé son rythme de croisière avec la parution d’un titre par an. La fournée de cette année s’intitule House of Ashes et nous met dans la peau de soldats en pleine seconde guerre du Golfe, tandis qu’ils se retrouvent en prise avec des démons millénaires. Avec ce changement drastique d’ambiance par rapport aux deux premiers volets, la recette fonctionne-t-elle toujours ?
House of Ashes. Irak, 2003. Le colonel Eric King et ses troupes s’apprêtent à prendre d’assaut un village de bergers. Celui-ci est susceptible d’être une couverture abritant un silo renfermant les armes chimiques prétendument (RIP Colin) détenues par le régime de Saddam Hussein. Au cours d’une embuscade tendue par un général irakien, un séisme se produit. Et tandis que le sol se dérobe sous leurs pieds, soldats américains comme irakiens se retrouvent emportés, atterrissant dans les ruines d’un ancien temple sumérien.
C’était pas ma guerre
Si les précédents opus de The Dark Pictures Anthology mettaient en scène des personnages de la vie ordinaire – une bande de jeunes inconscients pour le premier, les passagers malheureux d’un bus pour le deuxième –, House of Ashes nous invite à incarner cinq individus évoluant dans le contexte le plus exceptionnel qui soit : celui d’une guerre. Cinq soldats donc, parmi lesquels une seule femme et un seul de "l’autre camp" (pour la diversité des points de vue, on repassera). Forcément, pour nous immerger dans cet univers d'horreur particulier, les dialogues de la première heure reprennent les poncifs des films de guerre, à savoir un ton irrévérencieux et de vache camaraderie entre les soldats. Mais force est de constater que cela fonctionne plutôt bien. Quoi qu’encore imparfaits, les dialogues de cet épisode apparaissent comme plus naturels que sur les précédents. Côté doublage (français), c’est correct même si on pourra pester contre le manque de conviction dans certaines répliques dans House of Ashes.
Petite revue des troupes donc : nous avons Eric King, récemment catapulté chef des opérations au détriment de Rachel King (Ashley Tisdale), son ex-compagne avec qui il ne désespère pas de se rabibocher. Les tensions qui préexistent entre ces deux-là nourriront leurs échanges, d’autant qu’il leur faudra composer avec un troisième luron, Nick Kay, amant caché de la dame. Dernier de la bande côté américain : Jason Kolchek, lieutenant en second. À ces quatre-là s’ajoutent d’autres membres de l’unité, non jouables, et qui ne tarissent pas de répliques cinglantes.
Le personnage de House of Ashes qui se démarque le plus parmi les protagonistes, c’est évidemment Salim, également soldat mais roulant pour le camp adverse. Contrairement à ses homologues yankees va-t-en-guerre, Salim est celui qui rechigne le plus à se battre contre l’ennemi, n’ayant d’ambition que la réussite de son fils dans ses études universitaires. Cela en fait au départ un personnage plus nuancé que les autres, en contraste avec ces derniers, sauf peut-être avec Nick, plus taiseux que ses camarades. Ce n’est pas un hasard s’il est le premier soldat américain que Salim croise sur sa route.
Démons intérieurs
Mais au fil de leur progression dans le temple sumérien, les personnages s’éloignent petit à petit des archétypes ambulants qu’ils représentent pour gagner un peu en profondeur. Le scénario lui-même s’affranchit de l’opposition binaire entre Américains et Irakiens pour les contraindre à s’allier contre un ennemi commun : les créatures ailées qui hantent les lieux et menacent à tout moment de surgir pour leur sauter à la gorge. Cette montée en tension est bien retranscrite dans le scénario, avec des caractères qui dévoilent de plus en plus leurs propres failles lorsqu’ils se retrouvent aux prises avec un danger qui les dépasse. La culpabilité de Nick, le renfermement de Rachel… L’éternel combat des individus contre leurs propres démons. Étonnamment, Eric s’avère être le personnage le plus en retrait du jeu, n’apportant que peu d’intérêt à l’intrigue.
Le background de House of Ashes apparaît comme le plus travaillé des trois épisodes. Concernant les personnages d’abord, où chacun ressasse plus ou moins un évènement de son passé qui ne se dévoile au joueur qu’au cours des échanges. L’ensemble des choix effectués dans ces dialogues influent toujours sur les relations internes ainsi que sur les traits qui les définissent, lesquels ressortent plus ou moins (littéralement dans la fiche personnage du menu).
C’est surtout dans tout ce qui entoure le temple et ses mystères que House of Ashes révèle son plein potentiel scénaristique. Le jeu débute d’ailleurs par une introduction se déroulant au 23ème siècle avant JC, lorsque le temple était aux mains des Akkadiens et du roi Naram-Sin. Une malédiction divine et quelques millénaires plus tard, une expédition est entreprise par un certain Randolph Hodgson, dont les multiples notes et trouvailles archéologiques sont disséminées dans le temple. La quête de ces cinquante "secrets" constitue l’un des enjeux du titre puisqu’elle permet aux personnages de faire la lumière sur l’origine des créatures ou sur le devenir de l’expédition Hodgson.
Sur la bonne trajectoire
Si la plupart des choix influent uniquement sur les échanges entre les personnages, certains ont une incidence directe sur la suite de l’intrigue. Une nuée de corbeaux stylisée apparaît brièvement à l’écran pour signifier au joueur qu’il vient d’effectuer un choix décisif. L’historique de ces décisions est visible dans le menu, où huit trajectoires principales sont mises en avant. Comme toujours, leurs conséquences peuvent être dramatiques mais le joueur pourra dénicher des tablettes présentant des prémonitions nébuleuses faisant office d’avertissements. Comme dans les précédents titres de Supermassive.
En tant qu’œuvre narrative, le gameplay se limite au strict minimum. À savoir les déplacements, l’allumage d’une torche et les QTE : touches rapides, touches à marteler ou, plus rarement, touches devant suivre les battements de cœur du personnage pour qu’il retrouve son calme. Il faudra être attentif. Car ces derniers peuvent survenir lors de n’importe quelle scène. Il suffit d’un simple manque d’inattention pour qu’un de nos soldats se retrouve en mauvaise posture. On regrettera tout de même l’extrême lourdeur dans le maniement des personnages, surtout lorsqu’il s’agit de se retourner dans les endroits étriqués (et il y en a).
On peut souligner aussi le fait que des efforts ont été fournis dans la mise en scène avec, je l’évoquais, des moments de tension bien amenés. Quand par exemple les personnages doivent se faufiler en silence derrière une créature, le tout accompagné par une série de QTE bien stressantes. Les jump scares quant à eux sont plus savamment dosés que sur Man of Medan par exemple, de sorte qu’on les voit un peu moins arriver à trois kilomètres.
Semper Fi
Les jeux de Supermassive Games se démarquent entre autres par leur attention portée aux expressions faciales et House of Ashes ne déroge pas à la règle. Les visages sont impressionnants de réalisme et d’expressivité pour un titre de ce calibre, sauf en ce qui concerne Rachel, dont le regard semble s’être éteint depuis l'Antiquité. Quand l’animation ne suit pas ou qu’une réplique tombe à côté, on s'échoue parfois dans l’inévitable vallée de l’étrange. Certains plans larges sont également très agréables à l’œil. Je pense en particulier aux environnements du dernier acte du jeu, lequel détonne avec le reste et propose les séquences les plus mémorables de l’anthologie jusqu’à présent.
Malheureusement, le titre pêche par un manque de finition, que l’on imagine bien être corrigé par un patch peu après la sortie. En attendant, les couacs sont multiples : trois, quatre répliques non doublées en français, traductions de documents absentes etc. Outre les micro-chargements en cours de jeu qui pourront faire grincer des dents, les textures mettent trop souvent du temps à s’afficher (version PS4 testée).
Enfin, sachez qu’il est toujours possible de profiter du jeu en solo, en coop en ligne ou en coop local pour plus de fun, sachant qu’il est impossible de basculer d’un mode à l’autre une fois la partie débutée. Si vous prévoyez de parcourir l’aventure d’une traite, prévoyez une plus longue soirée que sur les épisodes précédents de l’anthologie : il faut six bonnes heures pour en voir la fin.